Les pensions alimentaires sont calculées selon le principe que chaque parent contribue aux besoins des enfants proportionnellement à ses revenus; une méthode imparfaite, mais qui évite bien des litiges.

Par Me Louis Baribeau, avocat et médiateur familial

Depuis 1997, les pensions alimentaires pour enfants entre parents résidant au Québec sont établies à partir d’un modèle de calcul uniforme qu’on appelle le Modèle québécois de fixation des pensions alimentaires pour enfants. Lorsqu’un des parents réside hors du Québec, c’est plutôt le modèle des Lignes directrices fédérales pour les pensions alimentaires pour enfants qui s’applique. Ces deux modèles contiennent des balises et une méthode de calcul très claires qui minimisent les litiges entre les parents et facilitent la conclusion d’entente pour fixer la pension alimentaire.

La méthode de calcul expliquée dans cet article concerne le modèle québécois qui s’applique à la très grande majorité des parents du Québec.

À quels parents s’applique le Modèle québécois de fixation des pensions alimentaires pour enfants?

Le modèle québécois s’applique lorsque la demande de fixation ou de modification d’une pension alimentaire pour enfant est faite au Québec dans les cas suivants :  

  • Séparation entre conjoints de fait, même si un des parents réside à l’extérieur du Québec (c’est la plus importante catégorie de parents visés par le modèle québécois);
  • Divorce entre personnes mariées lorsque les deux époux résident habituellement dans la province de Québec (c’est la deuxième catégorie la plus importantes de parents visés par le modèle québécois);
  • Autres cas : annulation de mariage, séparation de corps, dissolution de l’union civile même si un des parents réside à l’extérieur du Québec (ces cas sont plutôt rares).

On peut donc dire que le modèle québécois est utilisé pour établir les ententes de pension alimentaires pour la très grande majorité des conjoints de fait ou époux qui se séparent au Québec.

À quelles exceptions s’appliquent les lignes directrices fédérales?

Elles s’appliquent lorsqu’il s’agit de fixer une pension alimentaire dans le cadre d’une demande en divorce (ou modifier la pension alimentaire après le divorce) et qu’au moment de la demande de fixation ou de modification l’un des deux parents ne réside plus habituellement au Québec. Cependant, rien n’empêche les deux parents de se mettre d’accord pour appliquer le modèle québécois si la demande de pension est faite au Québec.

Quelle est la méthode de calcul du modèle québécois?

Les calculs sont basés sur trois critères principaux : le nombre d’enfants, le temps parental accordé à chacun des parents et leurs revenus bruts. Le calcul se fait en trois étapes.

Première étape: on calcule d’abord séparément les revenus disponibles des parents en soustrayant de leurs revenus brut leurs cotisations syndicales et professionnelles ainsi qu’une déduction d’environ 12 000$ (en 2021).

Deuxième étape: en transposant le revenu brut dans le barème québécois, le logiciel de calcul fournit le montant de la contribution parentale de base des parents.

La contribution parentale de base représente la somme d’argent annuelle à dépenser par les deux parents pour satisfaire les besoins de base des enfants, en fonction de certaines statistiques sur les budgets familiaux. Le barème québécois des contributions parentale de base est mis à jour annuellement.

Plus le revenu total des parents est élevé, plus le montant de la contribution parentale de base sera élevée.

Troisième étape: la contribution parentale de base est répartie par le logiciel entre les parents selon leurs revenus et selon le temps de garde de chacun, afin de déterminer la part de chacun dans le coût des besoins de l’enfant. Cette répartition permet d’établir le montant de la pension alimentaire à verser par un des parents.

Les calculs prévus au modèle québécois prévoient le paiement d’une pension par tout parent qui n’a pas la garde d’un enfant et qui gagne environ 12 000$ ou plus (en 2021). En cas de garde partagée, le parent gardien qui gagne le revenu le plus élevé paie généralement une pension alimentaire à l’autre parent gardien.

Quels revenus des parents prend-t-on en compte?

Tous les revenus bruts sont considérés et, en particulier, les suivants :

  • salaires, commissions, pourboires (incluant les congés payés et, en général, le temps supplémentaire);
  • revenu d’entreprise ou de travailleur autonome (moins les dépenses d’affaires);
  • les montants reçus en dividendes, les revenus de placements ou intérêts;
  • le gain en capital (de manière générale, sauf dans des circonstances particulières);
  • les revenus de location (moins les dépenses de location);
  • les prestations diverses (retraite, invalidité, assurance-emploi, autres prestations versées en vertu d’une loi et même les prestations d’assurance-salaire privée) imposables ou non;
  • pensions alimentaires versées au conjoint par un tiers pour ses besoins personnels et non pour les enfants;
  • les revenus de travail au noir.

Y-a-t-il des revenus exclus du calcul?

On ne tient pas compte des transferts gouvernementaux reliés à la famille, comme les prestations de soutien aux enfants du gouvernement du Québec, les allocations canadiennes pour enfants du gouvernement canadien ou les prestations d’aide sociale.

On exclut du revenu les prêts et bourses versés par le ministère de l’Éducation du Québec reçus par un parent pour financer ses propres études. Toute autre bourse d’étude, reçue par un parent pour ses études, provenant d’une source autre que le ministère de l’Éducation, doit normalement être incluse dans le revenu du parent.

Quel est la période utilisée pour les revenus?

On se base sur le revenu probable de l’année en cours.

On peut aussi se baser sur les revenus prévisibles au cours des prochains 12 mois. C’est le cas, par exemple, si une augmentation ou une diminution de revenu importante survient en cours d’année.

Si les revenus sont stables, on se basera évidement sur les documents fiscaux de l’année précédence (ligne 199 de l’avis de cotisation provincial). De même, si on établit un calcul de pension alimentaire pour une année antérieure.

Cependant, s’il y a eu un changement de revenu significatif depuis la dernière année fiscale, les talons de paie récents, le nouveau contrat d’emploi, les relevés établissant les montants de prestations (retraite, invalidité, etc.) seront plus pertinents.

Que comprennent les revenus de salaire, commissions et pourboires?

Un employé doit inclure dans son revenu, aux fins de calcul de la pension, tout avantage personnel, non lié à son travail. Ainsi, un employeur qui fournit à un employé un bien servant à la fois à ses fins personnelles et pour son travail doit lui émettre un feuillet fiscal indiquant la portion d’usage personnel qui doit être ajouté à ses revenus personnels dans sa déclaration fiscale. C’est le cas, par exemple, d’un véhicule automobile ou d’un cellulaire mis à la disposition de l’employé.

Comment prend-t-on en compte les revenus non imposables?

Les revenus non imposables, par exemple, les prestations de la Société de l’assurance automobile du Québec, ou certaines prestations versées aux anciens combattants, doivent être majorés pour en obtenir l’équivalent imposable en tenant compte de la totalité des revenus. Il en va de même pour les revenus au noir qui devraient être majorés en équivalent imposable.

Les médiateurs et les juristes disposent de logiciels leur permettant de convertir un revenu non imposable en revenu imposable pour les fins du calcul de la pension alimentaire.

Comment calcule-t-on les revenus des parents en affaires?

Le gain en capital réalisé sur la vente d’un placement fait généralement partie des revenus à inclure dans le logiciel de calcul.

Lorsque les revenus d’un parent proviennent d’un immeuble à revenu non incorporé ou d’une entreprise non incorporée (entreprise individuelle ou association) le revenu indiqué sur le formulaire de calcul est le profit réalisé (revenu d’entreprise moins les dépenses raisonnables engagées pour gagner du revenu). S’il s’agit d’une association, le revenu à indiquer est fixé selon la part de l’ex-conjoint dans l’entreprise ou l’immeuble.

Les intérêts et dividendes doivent aussi être indiqués. Les dividendes doivent être majorés. Cette majoration se fait automatiquement dans les logiciels de calculs de pension utilisés par les juristes et les médiateurs familiaux en précisant s’il s’agit de dividendes ordinaires ou déterminés (puisque le taux de majoration est différent pour chacun).

Lorsqu’un parent détient une compagnie, si des profits additionnels auraient pu lui être versés sans mettre sa compagnie en difficulté, on doit l’ajouter à son revenu personnel pour fins de fixation de la pension.

Le revenu de l’enfant majeur aux études sont-ils pris en compte?

Il est normal pour les parents d’exiger que leurs enfants majeurs travaillent à temps partiel (et à temps plein durant l’été) durant leurs études pour assumer eux-mêmes une partie de leurs besoins, si la poursuite de leurs études le permet.

Il appartient aux deux parents et à l’enfant de s’entendre sur les dépenses qu’il assumera lui-même (par exemple, ses vêtements, sorties, transport, cellulaire, frais d’études). Le parent qui héberge l’enfant ne peut en décider seul, puisque cela influera sur le montant que l’autre parent devra lui verser et la part de l’enfant majeur.

Les parents pourront ainsi s’entendre pour diminuer le montant de la pension en fonction des besoins que l’enfant majeur assumera.

Y-a-t-il des ajustements acceptables au montant de la pension alimentaire?

L’application du barème est obligatoire, mais certaines dérogations sont autorisées.

Le montant de la pension ne peut dépasser la moitié du revenu disponible du parent (tel que déterminé dans le formulaire de calcul de la pension alimentaire). Cependant, cette exception pourrait ne pas s’appliquer si le parent est quand même en mesure de payer le plein montant de la pension, par exemple, parce qu’il a des placements importants.

La pension prévue au modèle québécois peut être augmentée ou réduite si la valeur très importante des biens d’un des parents le justifie. Elle peut aussi être réduite si l’importance du revenu ou des ressources dont dispose l’enfant le justifie. C’est le cas, notamment lorsqu’un enfant majeur encore aux études gagne un revenu.

On peut déroger au barème si un des parents éprouve des difficultés étant donné qu’il doit pourvoir aux besoins d’un enfant issu d’une autre union.

Il est aussi permis de déroger au modèle québécois, lorsque cela occasionne des difficultés excessives à un parent, notamment :

-lorsque les coûts pour exercer un droit de visite, par exemple, les coûts de transport pour aller chercher ou reconduire l’enfant si les résidences des parents sont très éloignées;

-lorsqu’un parent a contracté raisonnablement des dettes importantes pour la famille;

-lorsque le parent non-gardien n’exerce pas ses droits d’accès, ce qui occasionne des dépenses additionnelles au parent gardien;

-lorsque le parent doit pourvoir aux besoins d’un enfant issu d’une autre union.

Le fait d’avoir un niveau de dépenses ou de dettes trop élevé si elles ne sont pas reliées à la famille, n’est pas une raison pour diminuer le montant de la pension alimentaire. Les parents doivent gérer leur budget en tenant compte qu’une partie de leur revenu sera consacré aux enfants.

Conseils aux ex-conjoints

Aux parents ayant à établir leurs revenus

  • Mettez à la disposition de l’autre parent tous les documents nécessaires à l’établissement de votre revenu

Le processus de négociation d’une pension alimentaire se doit d’être transparent et franc. Demandez à votre ex-conjoint de faire de même en ce qui concerne ses documents.

Les documents pertinents à s’échanger sont les contrats d’emploi, talons de paie récents, dernier avis de cotisation et derniers rapports d’impôt, états financiers s’ils sont en affaires, tout autre relevé établissant leurs revenus, ou si, nécessaire, une lettre de l’employeur.

Au parent dont l’ex-conjoint est en affaires

  • Demandez-lui de vous donner une copie des états financiers de son entreprise et n’hésitez pas à lui poser des questions sur les chiffres

Vous avez intérêt à vérifier notamment s’il a inclu tous les revenus gagnés et si les dépenses sont raisonnables et ont été engagées pour gagner du revenu.

S’il refuse et que vous êtes engagé dans un processus de médiation, rappelez-lui qu’au début de votre démarche, vous avez pris l’engagement, comme il est courant de le faire au début d’un processus de médiation, de divulguer toutes les informations pertinentes à la prise de décision. Or, les états financiers, d’une compagnie dont l’ex-conjoint est un des principaux actionnaires, font généralement partie des informations nécessaires à l’établissement de ses revenus pour le calcul de la pension alimentaire pour enfant. Le refus de votre ex-conjoint de fournir ces informations peut être considéré comme un accroc à cet engagement de transparence. 

Vous pouvez demander à votre ex-conjoint la permission de parler à son comptable pour lui poser des questions. Vous pouvez aussi prendre conseil vous-même auprès d’un comptable à vos frais pour obtenir des éclaircissements sur les chiffres et auprès d’un avocat-conseil pour vous aider à déterminer le revenu de votre ex-conjoint, compte tenu de l’ensemble de sa situation financière.

Aux parents ayant un enfant majeur travaillant pendant ses études

  • Vous pouvez demandez au médiateur ou au juriste qui fait vos calculs de pension alimentaire de prendre en compte les revenus de l’enfant

Le chiffrement de la diminution de la pension alimentaire afin de prendre en compte les revenus de l’enfant majeur est souvent source de litige entre les parents. Pour faciliter la conclusion d’ententes, beaucoup d’avocats et de juges soustraient 1/3 du revenu de l’enfant du montant de la contribution parentale de base servant à calculer la pension.  

Aux parents ayant un enfant majeur aux études ne vivant plus chez eux

  • N’utilisez pas le barème de calcul québécois, mais le budget de l’enfant pour vous aider à déterminer l’aide à lui verser. 

Le modèle québécois des pensions a été établi en fonction d’enfants demeurant chez un des des parents ou chez les deux. 

Il s’agit pour les parents et l’enfant de s’entendre sur le revenu qu’il gagnera et sur le montant de ses dépenses. Le déficit est assumé par les parents en proportion de leur revenu disponible. Par exemple, faisons l’hypothèse que l’enfant majeur est en mesure de gagner 10 000$ par année et qu’il a 17 500$ de dépenses. Si le père a un revenu disponible de 80 000$ et la mère un revenu disponible de 40 000$, la proportion de revenu disponible des parents est 2/3 pour le père et 1/3 pour la mère. En appliquant cette proportion au partage du manque à gagner de l’enfant de 7 500$, la contribution du père sera de 5000$ et de 2500$ pour la mère.

Chaque parent verse alors sa part directement à l’enfant. S’il est à craindre que l’enfant n’utilise pas judicieusement les sommes qui lui sont remises, les parents peuvent se répartir le paiement des comptes de l’enfant directement auprès des fournisseurs au prorata de leur revenu.

 

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