Le déménagement important se discute à l’avance, car il peut impliquer des changements dans les arrangements sur le temps parental (garde des enfants et accès).
Par Me Louis Baribeau, avocat et médiateur familial
Lors de leur divorce, Pierre et Sylvie ont conservé une résidence familiale dans le même secteur de la ville de Québec, ce qui leur a permis d’exercer, depuis 3 ans, une garde partagée d’une semaine chacun en alternance avec leur fille Solema, âgée maintenant de 9 ans. Pierre a une nouvelle conjointe, Audrey, avec qui il forme le projet de faire vie commune. Le hic est qu’elle demeure à Montréal. L’employeur de Pierre lui a confirmé qu’il peut être muté à Montréal s’il en fait la demande. Il approche son ex-conjointe pour parler de son projet de déménagement à Montréal et des bouleversements que cela entraînera dans le partage du temps auprès de leur fille.
En cas de déménagement, un des parents a-t-il préséance sur l’autre pour la garde?
La garde et les accès (temps parental) d’un enfant relèvent de la décision commune des parents. Ce n’est qu’à compter de 18 ans que la loi autorise un enfant à décider seul comment il répartira son temps entre ses parents. Il est néanmoins pertinent de le consulter à partir de l’âge de raison, son désir étant de plus en plus pertinent à mesure qu’il avance en âge.
L’entente prise entre les parents ou le jugement prononcé par la cour établissant le partage du temps parental vaut tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de changement important dans la situation familiale. Un déménagement important constitue un tel changement important. Il appartient donc aux deux parents de négocier pour s’entendre sur une nouvelle répartition du temps parental, si cela s’avère nécessaire pour le bien de l’enfant (en tenant compte du désir de l’enfant s’il est suffisamment âgé).
Si nous avons de la difficulté à nous entendre, que pouvons-nous faire?
Plus le déménagement est à une distance importante, plus il implique des décisions nouvelles sur le partage du temps parental (horaire et calendrier de garde et accès), lieu de transition entre les périodes de garde, choix de l’école, déplacements des parents, loisirs de l’enfant, son réseau social et le partage des coûts reliés aux enfants et aux déplacements. Il est normal que les parents puissent être en désaccord. Ils peuvent alors recourir aux services d’un médiateur familial qui les aidera à en arriver à une entente et ils devraient aussi prendre avis auprès d’un conseiller juridique indépendant.
Si une entente n’est pas possible, un juge pourra trancher le litige et répartir le temps de garde, en fonction du déménagement, dans le meilleur intérêt de l’enfant. En fait, chaque parent, peut avoir intérêt à prendre ce recours pour demander au tribunal d’intervenir. La consultation d’un avocat est essentielle dans ces cas pour vous aider à prendre une décision éclairée.
Un parent non marié ou divorcé (ex-conjoint de fait) doit-il aviser l’autre parent d’avance d’un projet de déménagement?
Non. Il n’a pas d’obligation dans la loi d’aviser d’avance l’autre parent d’un projet de déménagement. Mais déménager à une distance importante de l’autre parent, sans l’avoir avisé et sans avoir négocié une nouvelle entente est un pari risqué. Cela pourra créer beaucoup remous dans les relations familiales. Si le conflit se retrouve devant les tribunaux, le parent pourrait se voir reprocher de ne pas en avoir discuté avec l’autre. De plus, le parent qui a une garde exclusive ne se verra pas nécessairement confirmer sa garde par la cour.
Une bonne pratique de la coparentalité est d’aviser l’autre parent le plus d’avance possible d’un projet de déménagement à une distance importante et de s’efforcer de négocier une nouvelle entente sur la garde et les accès, si le changement de résidence peut avoir une incidence sur le temps parental. S’il s’agit d’un déménagement à courte distance, il faut au moins l’aviser de la nouvelle adresse peu avant le déménagement, ne serais-ce que pour qu’il puisse rejoindre l’enfant, si nécessaire, à la nouvelle adresse.
Un parent marié ou divorcé (ex-époux) est-il tenu d’aviser l’autre parent d’avance d’un projet de déménagement?
Il doit obligatoirement aviser l’autre parent 60 jours au moins avant un déménagement important, selon la Loi sur le divorce. Il est recommandé d’utiliser le formulaire conçu à cet effet par le ministère de la Justice du Canada pour vous assurer que votre avis contient les mentions importantes. Il doit contenir une proposition sur le réaménagement du temps parental, des responsabilités décisionnelles ou des contacts.
Lorsque le changement de résidence d’un parent marié ou divorcé n’est pas important, il faut tout de même l’en aviser, mais aucun délai n’est prescrit. L’avis légal doit indiquer la date prévue du changement de résidence et les nouvelles coordonnées.
Qu’est-ce qu’un déménagement important?
Un déménagement est important si les deux conditions suivantes sont présentes :
Première condition: un parent projette un déménagement pour lui-même ou son enfant à charge;
Deuxième condition : il est vraisemblable que son déménagement aura une incidence importante sur les rapports de l’enfant avec l’autre parent.
Selon la Loi sur le divorce, le déménagement peut être considéré important même si le parent n’a pas l’intention de déménager avec l’enfant.
De plus, au sens de la loi, l’avis doit être donné concernant tout enfant à charge. Un enfant majeur continue d’être un enfant à charge, s’il n’est pas encore autonome financièrement, notamment parce qu’il est encore aux études ou est invalide.
L’autre parent marié ou divorcé (ex-époux) qui reçoit un avis de déménagement important a-t-il un délai pour exprimer son opposition?
Si, après réception de l’avis de 60 jours, l’autre parent ou une personne ayant une ordonnance de contact avec l’enfant est en désaccord avec le déménagement important, il peut s’opposer à celui-ci en remplissant le formulaire d’opposition publié par le gouvernement du Canada ou en déposant une demande au tribunal afin qu’il soit statué sur le déménagement et l’intérêt de l’enfant. Le formulaire doit être transmis dans un délai de 30 jours de la réception de l’avis de déménagement important. Il doit contenir une proposition sur le réaménagement du temps parental, des responsabilités décisionnelles ou des contacts. Le parent peut aussi s’opposer au déménagement en prenant un recours devant le tribunal.
À quelles conditions le parent marié ou divorcé (ex-époux) peut-il mette à exécution son projet de déménagement important?
Si une des 2 conditions suivantes est satisfaite :
- le déménagement est autorisé par la cour;
- aucune opposition n’a été faite dans le délai de 30 jours, soit par l’envoi du formulaire prévu à cet effet ou par une demande faite à la cour, et aucune ordonnance n’interdit le déménagement.
Quelles sont les preuves à présenter devant la cour?
Garde partagée : le parent qui déménage doit démontrer que le déménagement important est dans l’intérêt de l’enfant.
Garde exclusive : le parent qui s’oppose au déménagement important du parent qui a une garde exclusive doit démontrer que le déménagement n’est pas dans l’intérêt de l’enfant.
Le parent marié ou divorcé (ex-époux) est-il exempté de donner l’avis s’il est victime de violence conjugale?
Effectivement, si vous êtes victime ou à risque d’harcèlement ou de violence conjugale ou familiale, il peut être contre-indiqué de donner votre nouvelle adresse à l’autre parent. Dans ce cas, consultez un avocat, il pourra vous guider sur les démarches à faire. Un juge pourra vous exempter, après ou avant votre déménagement, d’avoir à donner un avis à l’autre parent en raison de ce risque de violence. Vous pouvez même obtenir une audience devant un juge pour obtenir cette exemption sans qu’une convocation ait été transmise à l’autre parent.
Conseil aux ex-conjoints
Au parent qui a un projet de déménagement
-Avisez l’autre parent le plus tôt possible de votre projet de déménagement et en respectant le délai exigé dans le cas des parents mariés ou divorcés;
-Attendez d’avoir une entente avec lui avant de mettre en action votre projet de déménager et prenez rendez-vous en médiation ou consultez un avocat si vous constatez qu’il n’est pas possible d’en arriver à une entente.
Au parent qui est informé du projet de déménagement de l’autre parent
-Si le déménagement risque de modifier la garde et les accès, consultez rapidement un juriste spécialisé en droit de la famille, par mesure préventive. Il se pourrait qu’il soit dans l’intérêt de l’enfant de saisir d’urgence la cour du litige, pour qu’elle intervienne avant le déplacement de l’enfant.
Aux deux parents
-Pour négocier votre entente, inspirez-vous des critères élaborés par la loi et les tribunaux. Ils sont basés sur les avantages et les inconvénients pour l’enfant. Personnalisez votre entente à l’aide de ces critères, car aucun n’a préséance sur les autres :
La distance entre le nouvel environnement proposé par un parent et le lieu de résidence de l’autre parent
Cette distance peut être déterminante quant à la possibilité pour l’enfant de maintenir des contacts significatifs avec les deux parents. Ce critère est appliqué en fonction, notamment, de la capacité financière des parents d’assumer les frais de déplacement.
On privilégie une solution qui maximise les contacts entre l’enfant et chaque parent, si possible
Ainsi, la cour pourra confier la garde de l’enfant au parent qui encourage les contacts avec l’autre parent, plutôt qu’au parent qui les décourage.
L’existence d’une convention intervenue entre les parents relativement au déménagement ou au lieu de résidence de l’enfant
Si les parents ont déjà convenu d’avance quel parent devrait avoir la garde en cas d’éloignement d’un parent ou si elle indique le secteur géographique où l’enfant doit résider, la cour aura tendance à ordonner l’application de cette entente.
Le temps que passe chaque parent avec l’enfant et son degré d’engagement dans la vie de l’enfant
Le fait que le parent séparé ou divorcé a donné ou non l’avis de 60 jours prévu à la Loi sur le divorce avant son déménagement
Les incidences du déménagement sur l’enfant
Notamment, les perturbations et pertes qui lui seront causées par l’éloignement de l’enfant de sa famille, de son école et en général du milieu dans lequel il s’est habitué à vivre. On privilégie la stabilité de l’enfant. Mais cela ne veut pas dire que le statu quo soit toujours la meilleure solution. On tient compte de la qualité de la relation de l’enfant avec sa famille élargie.
Le support disponible à l’enfant dans le nouvel environnement proposé
Il s’agit généralement du support financier, familial (de la famille proche ou élargie) ou affectif dont l’enfant pourra bénéficier, y compris le nouveau conjoint.
Le désir de l’enfant
A compter de 8 ans environ, on commence à prendre en compte l’opinion de l’enfant. Plus il avance en âge, plus son opinion a du poids dans les décisions relatives à la garde. Mais ce n’est qu’à l’âge de 18 ans qu’un enfant peut décider du temps qu’il passera avec chaque parent. Jusqu’à la majorité, le dernier mot revient aux parents, ou, s’ils ne s’entendent pas, à la cour.
L’accessibilité à l’école et aux services dont l’enfant a besoin
En particulier, on tiendra compte de la disponibilité de certains services scolaires spécialisés dans le nouvel environnement.
La culture dans laquelle l’enfant sera intégré
Par exemple, on pourra tenir compte de la possibilité pour l’enfant d’apprendre une seconde langue dans son nouvel environnement.
- La faculté d’adaptation de l’enfant
Chaque enfant est différent et certains peuvent éprouver des difficultés à s’adapter au changement de milieu de vie.
La raison pour laquelle le parent gardien déménage
Par exemple, le parent forcé de changer de région parce que son employeur a déménagé ne sera pas considéré de la même façon que celui qui a quitté la région uniquement pour priver l’autre parent de son temps parental.
Le caractère raisonnable du réaménagement du temps parental, des responsabilités décisionnelles ou des contacts proposé par la personne qui veut déménager
L’examen de ce critère doit prendre en compte notamment le nouveau lieu de résidence et les frais de déplacements, selon la Loi sur le divorce.
La santé du parent gardien, tant sur le plan physique qu’émotionnel
Le fait qu’un des parents a respecté ou non ses obligations en vertu d’une ordonnance, d’une entente ou de la loi
Il peut s’agir, par exemple, d’obligations d’aider financièrement l’autre parent à défrayer les frais des enfants ou le respect du temps parental. La Loi sur le divorce précise qu’on tient compte aussi de la mesure dans laquelle les parents sont susceptibles de respecter leurs obligations à l’avenir.
L’intention du parent, si le déménagement est interdit, n’est pas pris en compte
Selon la Loi sur le divorce, le Tribunal ne prend pas en considération le fait de savoir si le parent qui souhaite déménager déménagerait sans l’enfant ou non si une ordonnance interdisait le déménagement important.
Avec la collaboration de Katherine Gauthier, stagiaire en droit pour la recherche
L’auteur remercie Me Marie-Josée Brodeur pour sa recherche intitulée Déménagement du parent gardien, dont elle a livré les résultats lors d’une formation donnée aux avocats familialistes de Québec le 8 mai 2015 .