Les difficultés d’adaptation d’un enfant lors d’une séparation peuvent dégénérer en aliénation parentale, un trouble qui peut être causé par de multiples facteurs reliés à l’enfant lui-même, aux parents ou à la dynamique de séparation.
Par Me Louis Baribeau, avocat et médiateur familiale
Qu’est-ce que l’aliénation parentale?
Les premières observations du phénomène d’aliénation parentale sont rapportées par le psychiatre Wilhem Reich en 1949, mais le concept lui-même fut introduit pour la toute première fois par le psychiatre américain Richard A. Gardner en 1985, qui la définissait comme: « un désordre qui survient principalement dans un contexte de litige sur la garde d’un enfant. Sa principale manifestation est la campagne de dénigrement de l’enfant contre un parent, campagne qui n’a aucune justification. Ce désordre résulte de la combinaison d’endoctrinement par un parent aliénant et la propre contribution de l’enfant à la diffamation du parent aliéné ». [1]
C’est ainsi qu’on a associé l’aliénation parentale aux manœuvres délibérées de lavage de cerveau ou programmation de l’enfant par l’un des parents pour qu’il rompe les contacts avec l’autre parent.
Au fil des années et des recherches, William Bernet[2] a peaufiné la définition de Gardner et l’aliénation parentale à ce jour se définit, selon le psychologue et expert psycho-légal Hubert Van Gijseghem, comme : « une condition mentale chez l’enfant qui est caractérisée par deux phénomènes: cet enfant s’allie fortement avec un parent et, de façon injustifiée, rejette l’autre. Cette situation concerne le plus souvent les enfants de parents séparés[3] ». Selon lui cette nouvelle définition reçoit aujourd’hui davantage l’adhésion des chercheurs que celle de Gardner. L’aliénation parentale n’est donc plus maintenant nécessairement le fait d’un parent malveillant, mais la conséquence de multiples facteurs attribués à l’enfant lui-même, aux parents ou à la relation disfonctionnelle entre eux.
Le trouble est décrit par la dynamique qui s’installe entre l’enfant, le parent aliénant avec lequel il fait alliance et le parent aliéné qui est mis de côté par lui.
L’aliénation parentale n’est pas inscrite au DSM-5 (Manuel dagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques, publié par la Société américaine de psychiatrie), paru en 2013. Mais il peut faire l’objet d’un diagnostic dans un expertise psycholégale en matière familiale.
L’aliénation parentale est-elle courante?
« Les études démontrent que parmi les enfants dont les parents se séparent, une minorité seulement, 11 à 15%, rejettent leur parent ou résistent à le voir et s’alignent avec l’autre parent »[4], rapporte la chercheure québécoise Francine Cyr. Pour les couples qui vivent des conflits importants lors de la séparation, les taux estimés d’alignement varient d’une étude à l’autre, entre 20% et 40%, rapporte-t-elle.
Elle note aussi que les enfants plus âgés sont plus susceptibles de rejeter un parent que les enfants plus jeunes[5].
À quels comportements reconnaît-on ce trouble chez l’enfant?
Gardner a élaboré huit critères présents chez l’enfant permettant d’évaluer si celui-ci est atteint d’aliénation parentale[6]:
- L’enfant participe à une campagne de dénigrement de l’autre parent sans raison.
- Il fait valoir des arguments absurdes et frivoles.
- Il adopte cette attitude sans manifester d’ambivalence.
- L’enfant dira que personne ne l’influence, qu’il est en mesure de penser seul.
- L’enfant agit en se sentant le soutien du parent aliénant.
- L’enfant ne se sent pas coupable de son comportement de rejet à l’égard du parent rejeté.
- L’enfant répète et utilise les phrases dictées par le parent aliénant.
- L’animosité de l’enfant s’étend à l’ensemble de la sphère familiale du parent rejeté.
Le rejet d’un parent par un enfant constitue-t-il toujours de l’aliénation parentale ?
«…l’enfant peut avoir plus d’affinités avec l’un de ses deux parents en raison de son tempéramment, son sexe, son âge, sa familiarité avec le parent, la qualité du temps passé avec celui-ci, ou à cause d’intérêts communs», mentionne Francine Cyr[7]. Ces préférences qui existent même dans les familles non divorcées ne constituent pas, en soi, de l’aliénation parentale.
« Il faut distingue l’aliénation d’un éloignement réaliste de l’enfant qui serait en réaction à des expériences traumatiques telles : avoir été témoin de violence conjugale, victime d’abus physique ou sexuel, ou souffert de l’inaptitude parentale ou de négligence importante de la part du parent qui est rejeté»[8], ajoute la chercheure.
De même, n’est pas en soi de l’aliénation parentale l’alignement d’un enfant envers un parent, parce qu’il passe plus de temps ou est plus investi avec lui, parce que ce parent est plus expérimenté ou habile ou que l’enfant a plus d’affinité avec lui.
Quels sont les facteurs d’aliénation parentale reliés à l’enfant ?
Ce trouble est généralement le fait d’une combinaison de plusieurs facteurs.
Se soulager d’un conflit de loyauté.
L’aliénation parentale se développe souvent sur le terreau fertile d’un conflit de loyauté. (voir notre article à ce sujet). Pour s’échapper du déchirement et l’angoisse que lui cause l’incompatibilité des sentiments amoureux envers chacun de ses parents, il peut ainsi décider de se détacher d’un des parents. Pour faciliter ce détachement, il peut adopter une conception manichéenne, où les parents représentent des forces antagonistes, l’un représentant le bien et l’autre le mal. « Étrangement, une fois ce clivage opéré, l’enfant retrouve son confort, sa paix intérieure et déploie des comportements plus sereins », fait remarguer le psychologue Van Gijseghem [9].
Aider le parent perçu comme vulnérable
Il se peut aussi que l’enfant décide de mettre de côté sa relation avec l’un des parents pour protéger l’autre. S’il passe plus de temps avec un des parents, il peut s’inquiéter de la souffrance vécue par ce parent suite à la séparation conjugale. Dans sa quête de trouver une justification à ces souffrances pour y trouver une solution, il peut transporter la responsabilité de ces souffrances sur les épaules de l’autre parent et penser que rompre les liens avec lu peut être salvateur.
Mais ce soulagement n’est qu’une résolution partielle du conflit intérieur, et ne fait que déplacer le problème, puisque cette stratégie le coupe d’une relation d’une importance capitale pour lui.
La personnalité et le tempérament de l’enfant
Dans un même fratrie, certains enfants sont atteints du trouble d’aliénation parentale et d’autres non. C’est un indice que la personnalité ou le tempéremment de l’enfant peut être un facteur.
Il est courant que des enfants aient une préférence pour un des parents. Cela peut être du à des affinités naturelle, mais aussi à l’histoire de la relation de l’enfant avec chaque parent et du type de relation qu’il a développée avec chacun. La séparation peut consolider la préférence de l’enfant envers un parent.
Par ailleurs, certains enfants ont un attachement exagérée et vivent ainsi en symbiose avec un des parents, plus particulièrement avec la mère. La relation avec la mère peut ainsi s’intensifier si l’enfant sent cette relation menacée par l’autre parent.
L’anxiété de séparation, vécu par l’enfant est aussi un facteur. Cela pourra être observé, par exemple, si l’enfant a de la difficulté à quitter la maison pour aller chez l’autre parent.
Le Dr Van Gijeseghem inclut aussi dans les facteurs reliés au tempérament ou à la personnalité de l’enfant ses difficultés d’adaptation aux changements et situations nouvelles déclenchées par la séparation : déménagement, entrée à l’école ou changement d’institution.
La suggestibilité n’est pas distribuée également entre les enfants. Les parents aliénants peuvent profiter de la suggestibilité de leur enfant. « Un enfant très suggestible épousera d’emblée les points de vue de ce parent, même s’ils sont transmis subtilement », écrit Hubert Van Gijeseghem [10].
Le trouble oppositionnel chez l’enfant avec provocation (répertorié dans le DSM-5) qui se caractérise par des comportements négativiste, hostiles et provocateurs envers les figures d’autorité peut s’intensifier à l’occasion d’une séparation, notamment lorsqu’il y a des désaccords entre les parents. « Devant des demandes légitimes de la part de ces derniers, ils feront des colères ou tomberont dans de véritables états de crises[11] », considère le psychologue. Le fait que les parents soient en désaccords ou n’appliquent pas les mêmes règles dans chacun leur milieux de vie peut être être utilisé par l’enfant pour justifier une dynamique d’aliénation parentale.
L’aliénation est-elle toujours induite par le parent allié?
« Dans la plupart des cas d’aliénation parentale, le parent allié joue un rôle soit initiateur, soit induit par l’enfant » Hubert Van Gijeseghem[12].
Qu’est-ce qui chez le parent allié favorise le développement de l’aliénatation parentale ?
L’anxiété du parent allié accentue ou aggrave les défaut de l’autre parent et fait vivre de l’anxiété à l’enfant, lequel commence à croire que le parent rejeté n’a pas de valeur ou est abusif, souligne Francine Cyr. «…un cycle mutuel d’escalade de peur et d’anxiété se développe entre l’enfant et le parent aligné …»[13], écrit-elle.
Voici les comportement aliénant les plus souvent rencontrés.
- Il laisse entendre que l’autre parent est dangereux, malade ou n’a pas les capacités requises pour s’occuper de l’enfant, alors que c’est faux;
- Il rabaisse et dénigre l’autre parent devant l’enfant;
- Le parent planifie des activités amusantes avec l’enfant pendant les temps de garde ou d’accès de l’autre parent;
- Il essaie le plus possible de limiter les contacts entre l’enfant et l’autre parent;
- Il gère tous les contacts technologiques entre l’enfant et l’autre parent notamment en écoutant au téléphone lors de leur conversation, il lit leurs courriels ou est de l’autre côté de l’ordinateur lors de leurs appels par vidéoconférence;
- Il jette les cadeaux donnés à l’enfant par l’autre parent;
- Il déforme le passé et raconte des histoires qui ne sont pas dans l’intérêt de l’autre parent à l’enfant afin d’amener l’enfant à s’éloigner de lui;
- Il utilise l’enfant comme messager plutôt que de parler directement avec l’autre parent;
- Il fait sentir coupable l’enfant d’avoir une relation avec l’autre parent;
- Il dénigre les règles et la façon d’éduquer l’enfant de l’autre parent;
- Il refuse catégoriquement de collaborer.
Ni les qualités du parent rejeté, ni les liens de l’enfant avec lui, ne sont mis en valeur.
Qu’est-ce qui peut expliquer de tels comportements aliénants ?
Ils sont souvent reliés aux sentiments envahissants que le parent éprouve lors de la rupture.
Les sentiments d’avoir été abandonné, délaissé ou trahis ou la culpabilité génère une énergie de réparation qui se traduit en hostilité, colère ou en ressentiments. Cette énergie est positive lorsqu’elle est bien utilisée, par exemple, obtenir du support, se reconstruire, se redonner confiance, etc. Mal canalisée, elle devient envahissante et, pour s’en libérer, le parent blessé la projette sur l’ex-conjoint.
Le discernement peut en être grandement affecté, le parent blessé se trouvant alors affecté, par un biais de confirmation, un phénomène décrit par R. Rosenthal[14]. Ce dernier a démontré «que lorsqu’une personne se crée des hypothèses, deux mouvements involontaires peuvent se produire : cette personne perçoit très bien tous les indices qui vont dans le sens de son hypothèse, mais, en revanche, développe une cécité pour tout indice qui la contredit », selon selon Hubert Van Gijeseghem[15] qui voit dans ce biais de confirmation le plus puissant contributeur à l’aliénation parentale. Étant ainsi persuadé de l’incompétence de l’autre parent, il entreprend de protéger l’enfant contre son influence néfaste.
Il peut être très difficile pour ces parents de prendre du recul et d’admettre qu’ils ont un biais perceptuel déformant la réalité et contribuant au trouble d’aliénation parental de l’enfant.
Le parent aliéné peut-il avoir une part de responsabilité ?
Il arrive que l’autre parent, se voyant rejeté par son enfant, envahi lui aussi par le ressentiment, se trouve piégé par l’effet du biais de confirmation décrit par R. Rosenthal. Il retiendra tous les faits confirmant la malveillance du parent allié et niera ceux qui contredisent cette hypothèse, projetant ainsi, à son tour sur l’autre parent les pires intentions malveillantes. Cela pourra se traduire en comportements hostiles que le parent allié et l’enfant utiliseront pour justifier le rejet parental.
Conseils aux ex-conjoints
Pour les cas d’aliénation parentale moins graves
Informez-vous auprès d’un thérapeute familial sur les protocoles d’intervention. Il comprennent des interventions éducatives, en counseling ou en psychothérapie. Elles se déroulent en rencontre individuelles ou bien en diade (les deux parents ensemble ou un parent et un enfant). Ces interventions peuvent être faites par un seul professionnels ou par plusieurs.
« Lorsqu’un seul thérapeute familial intervient, il est nécessaire qu’un autre professionnel agisse comme arbitre ou coordonnateur parental du cas afin qu’un suivi du processus et des décisions puissent être prises pour faire avancer la situation »[16], souligne Francine Cyr. Ce rôle de coordonnateur peut être aussi joué par la cour. Il est recommandé que les intervenants et le coordonnateur puissent communiquer ouvertement entre eux tout en préservant la confidentialité.
La dynamique post-rupture est un système où interagissent les attitudes de chaque parent avec celles de l’autre parent et de l’enfant. Plutôt que de vouloir changer l’autre parent, portez attention à votre perception des relations entre les membres de la famille qui affectent ces relations.
Le taux de succès de l’intervention sur l’enfant augmente si le parent allié apprend à être adéquatement protecteur et si le parent rejeté est « calme et patient dans ses tentatives de rétablir un lien avec l’enfant et que les deux parents encouragent activement l’enfant à se séparer et à s’individualiser du parent préféré et à se rapprocher de l’autre », mentionne Francine Cyr[17].
Plus l’intervention aura lieu tôt dans le développement du trouble chez l’enfant, plus le taux de succès sera élevé.
Pour les cas graves ou extrêmes
Il s’agit des cas où l’un ou les deux parents ou l’enfant manifestent peu d’intérêt pour s’impliquer dans un plan d’aide, ne peuvent prendre une distance de leurs peurs, que la dynamique familiale est rigidifiée, ou qu’un des parents a de faibles capacités parentales. Il est souvent difficile d’obtenir la collaboration des deux parents pour participer aux interventions psychosociales.
Consultez un avocat pour voir s’il est approprié de faire intervenir la cour. Celle-ci pourra notamment fixer les périodes de garde et d’accès et voir à ce qu’elles soient respectées, après avoir ordonné, si nécessaire, une évaluation psychosociale, pour l’aider à trancher.
Mais la cour ne forcera pas un enfant de plus de 14 ans à participer à une intervention psychosociale et n’a pas le pouvoir de l’ordonner aux parents.
Dans les cas extrêmes, la cour pourra enlever la garde au parent aliénant pour le confier au parent aliéné, mais une telle décision devra être prise après une évaluation des conséquences possibles sur l’enfant, pour ne pas lui causer à l’enfant plus de tort que de bien.
[1] RA Gardner, « Parental Alienation Syndrome (PAS): Sixteen Years Later », Academy Forum, vol. 45, no 1, 2001, p. 10–12 (lire en ligne [archive])
[2]Bernet, Von Boch-Galhau, Baker, Morrisson, Parental Aliénation, DSM-5 and ICD-11, The American Journal of Family Therapy, 38:76–187, 2010.
[3] Van Gijseghem, Hubert « Facteurs contribuant à l’aliénation parentale » dans Revue de psychoéducation, Volume 45, numéro 2 (2016), p. 454.
[4] L’aliénation parentale : comment la définir, la détecter et intervenir? , dans Volume 326 -Développements récents en droit familial (2010), p. 24 et 25.
[5] Idem, p. 34.
[6] Van Gijeseghem, Hubert, Le syndrome d’aliénation parental (S.A.P.), dans Journal du droit des jeunes 2002/8 (N° 218), pages 38 à 40.
[7] L’aliénation parentale : comment la définir, la détecter et intervenir? , dans Volume 326 -Développements récents en droit familial (2010), p. 26.
[8] Idem, p. 28.
[9] Van Gijeseghem, Hubert « Facteurs contribuant à l’aliénation parentale » dans Revue de psychoéducation, Volume 45, numéro 2 (2016), p. 456.
[10] Idem, p. 460.
[11] Idem, p. 459.
[12] Idem, p. 460.
[13] L’aliénation parentale : comment la définir, la détecter et intervenir? , dans Volume 326 -Développements récents en droit familial (2010), p. 30.
[14] (1976). Expérimenter effects of behavioral research, New York, NY: Wiley.
[15] Van Gijeseghem, Hubert « Facteurs contribuant à l’aliénation parentale » dans Revue de psychoéducation, Volume 45, numéro 2 (2016), p. 461.
[16]L’aliénation parentale : comment la définir, la détecter et intervenir? , dans Volume 326 -Développements récents en droit familial (2010), p. 38.
[17] Idem p. 39,40.