Contributions inégales, mais partage égal (partage du patrimoine familial)

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau du Québec, vol.14, no 2, février 2009

Les conjoints mariés sont tenus de contribuer aux dépenses du mariage seulement dans la mesure de leurs  moyens  financiers.  Mais  si  l’un  d’eux  contribue  moins  que  l’autre,  le  patrimoine  familial  sera partagé quand même en deux parts égales au moment du divorce. Le partage inégal n’aura lieu que dans les cas où le conjoint commet ce que la Cour suprême, dans sa récente décision M. T. c. J.-Y. T., a appelé une « faute économique ».

Le  Code  civil  du  Québec prévoit  la  création,  lors  d’un  divorce,  d’un  patrimoine familial  constitué  des  principaux  actifs  acquis  durant  la  vie  commune,  soit  les résidences  et  véhicules,  les  meubles  et  les  REER  ainsi  que  les  droits  accumulés  dans  un  régime  de  retraite  d’employeur  ou  dans  le  Régime  des  rentes  du  Québec. Chaque conjoint peut réclamer la moitié de la valeur nette de tous les biens faisant partie  de  ce  patrimoine  familial.  Cependant,  l’article  422  du  Code  civil permet  au tribunal  de  déroger  à  ce  principe  du  partage  égal  « lorsqu’il  en  résulterait  une injustice compte tenu, notamment, de la brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens par l’un des époux ou encore de la mauvaise foi de l’un d’eux ».

La cause M. T. c. J.-Y. T. 1 est un exemple assez typique de contributions financières inégales des conjoints aux dépenses de la famille. Madame et monsieur se marient en 1992. Au début de leur vie commune, la conjointe ayant reçu une formation en bureautique travaille au gouvernement du Québec, mais elle quitte son emploi pour étudier  à  l’université.  Elle  occupe  alors  des  emplois  à  temps  partiel,  précaires  ou temporaires, tout en étant active au foyer, comme convenu avec son mari. Chacun contribue aux dépenses du ménage en fonction de ses moyens financiers. Monsieur paie  les  études  universitaires  de  madame  jusqu’à  ce  qu’elle  obtienne  sa  maîtrise. En 2004, à l’époque où le couple se sépare, madame vise l’obtention d’un doctorat. Il a 64 ans, et elle en a 42.

Le conjoint plaide qu’un partage égal de son régime de pension constitue une injustice, étant donné que sa conjointe a 22 ans de moins que lui, qu’elle est autonome et qu’elle peut occuper un emploi lui permettant d’accumuler assez d’argent pour sa retraite. De  plus,  il  invoque  que  tous  les  biens  du  patrimoine  familial  ont  été  accumulés grâce à son revenu. La Cour supérieure met de côté ces arguments et ordonne un partage  égal  du  régime  de  pension.  La  Cour  d’appel  casse  cette  décision,  mais  la Cour suprême rétablit la décision de première instance et confirme le partage égal.

La notion d’injustice

Dans sa décision, le juge Louis LeBel, qui a rédigé les motifs unanimes des juges de la Cour suprême, note que l’énumération prévue à l’article 422 des motifs donnant ouverture  au  partage  inégal  n’est  pas  exhaustive.  Dans  quels  autres  cas  cette disposition autorise-t-elle le partage inégal ? Pour le juge LeBel, la réponse est dans le sens à donner à la notion d’« injustice ». Cette notion doit être interprétée à partir du cadre général et des objectifs de la loi et en se basant sur les moyens choisis par le législateur pour mettre en oeuvre ces objectifs.

Les  dispositions  relatives  au  patrimoine  familial  s’inscrivent  dans  le  cadre  d’un mouvement  de  la  société  pour  l’amélioration  de  la  protection  financière  des conjoints  vulnérables.  « Cette  tendance  législative  vise  à  garantir  une  égalité,  peut-être  imparfaite,  mais  significative,  dans  la  création  et  la  dissolution  d’un patrimoine conjugal », écrit le juge LeBel dans sa décision. Les moyens choisis par le législateur pour favoriser cette égalité sont, premièrement, la création d’une union économique dans le mariage et, deuxièmement, l’obligation de partager également la valeur des biens du patrimoine familial au divorce.

Présomption d’égalité des contributions

Selon  le  Code  civil  du  Québec,  l’union  économique  du  mariage  prévoit  que  les époux  sont  appelés  à  contribuer  en  fonction  de  leurs  facultés  respectives  aux charges  du  mariage.  Ces  contributions  peuvent  être  de  différentes  natures, par  exemple,  un  époux  peut  s’en  acquitter  par  son  activité  au  foyer.  La  loi  ne prévoit  pas  de  moyens  de  mesurer  les  contributions,  mais  les  présume  égales.

« Cette  présomption  d’égalité  des  contributions  fonde  le  principe  d’égalité  du patrimoine familial à la dissolution du mariage et souligne le caractère d’exception du pouvoir d’en ordonner une division inégale », indique le juge LeBel. Le seul fait que  la  contribution  économique  d’un  conjoint  à  l’enrichissement  de  la  famille  ait été supérieure à l’apport fourni par l’autre ne peut donc justifier un partage inégaldu patrimoine familial.

L’échec du projet économique

Le partage égal du patrimoine familial est impératif. Les seules limites au caractère impératif du partage sont les cas d’injustice prévus à l’article 422. Le partage inégal n’est  justifié  que  lorsqu’un  des  conjoints  a,  par  sa  conduite,  entraîné  l’échec  du  projet  d’égalité  économique.  « Lorsqu’on  les  invoque  comme  source  d’injustice au  sens  de  l’article  422,  les  actes  préjudiciables  ou  répréhensibles,  ou  fautes  des  conjoints,  doivent  conserver  un  lien  clair  avec  le  sort  du  patrimoine  familial,  dit  le  juge  LeBel.  Ils  doivent  présenter  en  quelque  sorte  le  caractère  d’une  faute économique. »  Il  ajoute :  « Il  faut  déterminer  si,  par  leurs  actes  ou  leur comportement  durant  le  mariage,  les  conjoints  ont  violé  leur  obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial. »

Les  motifs  de  partage  inégal  énumérés  à  l’article  422,  soit  la  brièveté  du  mariage,  la  dilapidation  de  biens  ou  la  mauvaise  foi,  sont  congruents  avec  l’idée  d’échec du  projet  d’égalité  économique  et  de  faute  économique.  La  brièveté  du  mariage influence  la  création  et  la  consolidation  de  l’association  économique.  La  dilapidation  ou  la  mauvaise  foi  d’un  conjoint,  par  exemple,  un  conjoint  qui cache des biens, affecte la valeur des biens à partager.

Impact économique sur le patrimoine familial

La  Cour  suprême  vérifie  si  les  motifs  invoqués  par  la  Cour  d’appel  satisfont  ces critères justifiant une ordonnance de partage inégal du patrimoine familial. La Cour d’appel  a  invoqué  d’abord  l’inégalité  des  contributions  financières  des  parties  au patrimoine  familial,  puis  le  premier  mariage  de  monsieur,  et  enfin  la  différence d’âge des conjoints, l’un d’eux approchant de la retraite et l’autre pas.

Rien n’indique que le premier mariage de monsieur ait eu un impact sur la situation économique des conjoints pendant le mariage ou lors du divorce. L’inégalité  des  contributions  n’est  pas  une  injustice  justifiant  un  partage  inégal, selon  la  Cour.  Il  est  normal  qu’un  conjoint  disposant  d’un  revenu  plus  élevé contribue davantage aux biens de la famille. Dans la présente affaire, la conjointe s’est  acquittée  de  sa  contribution  par  son  activité  au  foyer  et  en  consacrant  ses revenus à la famille, en proportion de ses moyens financiers. Par  ailleurs,  la  différence  d’âge  était  nécessairement  acceptée  par  les  parties  dès le début de leur union et, dans ce contexte, elle n’est pas une cause d’injustice.

Le  juge  LeBel  est  d’avis  qu’on  ne  peut  reprocher  à  madame  son  âge  pour  refuser d’appliquer les dispositions obligatoires du patrimoine familial. La Cour conclut qu’il n’y a aucun motif d’ordonner un partage inégal. Madame n’a commis  aucun  acte  portant  atteinte  à  l’intégrité  du  patrimoine.  Ce  qui  est  vu  par monsieur comme une injustice découle de la solution retenue par le législateur pour favoriser l’égalité économique des conjoints.

Par  cette  décision,  la  Cour  suprême  confirme  le  but  fondamental  du  patrimoine familial qui est d’égaliser les droits économiques des conjoints et qu’une demande de  partage  inégal  justifiée  par  le  fait  qu’un  conjoint  a  moins  contribué financièrement que l’autre aux dépenses de la famille n’est pas recevable.

1 M. T. c. J.-Y. T., 2008 CSC 50.

Lieux de visites supervisées en médiation familiale, davantage de ressources et des normes communes

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, Volume 33 – numéro 19 – 15 novembre 2001.

Les lieux de visite supervisées sont des endroits où un parent amène son enfant pour faciliter l’exercice des droits de visite ou de sortie de l’autre parent. Ni les parents, ni les enfants n’ont envie de s’y rendre. Mais pour certaines familles éclatées, il n’y a pas d’autres solutions pour l’exercice des droits parentaux, car les blessures laissées par la rupture sont encore trop vives.

À la plénière de clôture du colloque de l’Association de médiation familiale du Québec, qui se déroulait à Baie Saint-Paul du 27 au 29 septembre, les conférenciers ont échangé sur la médiation familiale et les lieux de visites supervisées.

Des ressources

Les juges, dans la mesure du possible, tentent toujours de préserver le lien parent-enfant tout en s’assurant de la sécurité de l’enfant, de rappeler Lyse Lemieux, juge en chef de la Cour supérieure du Québec. Et une des solutions pour certaines familles éclatées est que les visites soient supervisées dans un lieu sous surveillance. Le juge peut alors consulter les ex-conjoints pour identifier une personne dans leur famille capable d’agir à titre de superviseur. Mais cela n’est pas toujours possible, notamment dans la région de Montréal où l’immigration internationale ou interrégionale disperse les familles. Il ne reste alors que le recours à des organismes communautaires.

Or, mentionne madame Lemieux, les juges ne peuvent pas vérifier la qualité des services dispensés dans ces lieux. Et elle se questionne sur les moyens des avocats de faire une telle évaluation. Avec le temps, les juges en viennent à se familiariser avec un ou des organismes particuliers, mais du jour au lendemain cette ressource peut disparaître et être remplacée par une nouvelle. « Nous avons d’abord besoin de ressources en quantité suffisante, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui […], de dire Lyse Lemieux. Mais en plus d’avoir les ressources, il faut s’assurer de la qualité, de la constance de ces ressources. Il faut voir à ce que des normes communes en régissent le fonctionnement, afin que tous aient accès aux mêmes services et aux mêmes traitements. »

Me Michel Bouchard, le sous-ministre en titre de la Justice du Québec, estime pour sa part que beaucoup de chemin a été fait au Québec en matière familiale, « tant au niveau législatif qu’au niveau du développement des services de soutien à la famille. Nous reconnaissons qu’il reste beaucoup à faire, en particulier au sujet des lieux de visites supervisées qui comptent parmi les derniers grands chantiers qu’il reste à entreprendre. […] C’est pourquoi le ministère de la Justice entend assumer le leadership de la réflexion qu’il y a lieu de compléter […] au sujet des services de visites supervisées. »

Des initiatives du milieu

Lorraine Fillion, médiatrice et chef du Service d’expertise et de médiation des Centres jeunesse de Montréal, ne pense pas que toutes les solutions doivent venir du ministère. « Si on croit qu’on peut faire quelque chose de neuf, de différent ou améliorer des services, qu’est-ce qui empêche un médiateur familial […] d’aller s’asseoir avec une ressource de visites supervisées et peut-être un avocat spécialiste en droit de la famille pour discuter comment ils pourraient collaborer ensemble dans certains dossiers pour aider des familles. »

Quant au financement des centres de visites supervisées, elle estime que les parents sont les premiers concernés. Ils devraient verser un contribution, ce qui ne veut pas dire que les centres n’ont pas besoin de subvention. Il faut une aide financière stable pour ne pas que ce soit un service précaire.

La responsabilité des avocats

De son côté, Me Jocelyn Verdon, avocat en droit de la famille, a insisté sur la responsabilité des avocats à l’égard du recours aux lieux de visites supervisées. Il suggère que les avocats explorent la possibilité de faire témoigner des membres de la famille ou des amis pouvant superviser les visites. « Un des avantages est de permettre aux parents et aux enfants d’exercer leurs droits dans des lieux ‘normaux’. L’enfant peut trouver difficile de se retrouver dans un milieu étranger et le parent peut se décourager. »

Me Verdon estime que lorsqu’un juge ordonne des droits de sortie supervisés, il devrait rester saisi du dossier et demander aux parties de revenir devant lui pour une réévaluation. De plus, il pense que les juges et les avocats ont intérêt à informer les parties de l’article 16 (10) de la Loi sur le divorce. Cette disposition mentionne que la Cour, dans sa décision sur la garde, tient compte qu’un parent facilite ou non les contacts de l’enfant avec l’autre parent.

L’important, de rappeler Lorraine Fillion à la toute fin de la plénière, est d’éviter de développer le réflexe des cas supervisés. « Les lieux de visites supervisées sont pour des cas complexes. Il y a des solutions tout à fait acceptables pour les cas moins complexes, comme se donner rendez-vous au MacDonald. »

En France et en Belgique

La plénière de clôture aura aussi été l’occasion pour les participants de faire le point sur l’utilisation des lieux de visites supervisées en France et en Belgique.

Françoise Viéville, directrice de l’Association d’aide à l’enfance et à la famille (AADEF) à Bobigny, en France, a explpiqué comment les droits parentaux pouvaient être pris en charge par des médiateurs dans les lieux de visites supervisées. Après avoir été référé par le tribunal à l’AADEF, les parents et l’enfant sont rencontrés individuellement par un médiateur dans les lieux supervisés. C’est l’occasion de leur expliquer les règlements et de répondre à leurs questions. L’intervenant assigné aux parents établit avec eux un calendrier de rencontres. Chaque parent débourse une contribution de 100 francs par six mois pour ces services.

« La confidentialité du contenu des entretiens et des visites est garantie aux parties. […] Nous ne faisons pas de rapport, ni compte rendu au juge, sauf lorsque l’enfant est en danger, lorsque le médiateur est menacé ou en cas de trouble grave du service », d’exliquer madame Viéville.

Ceci dit, si un parent ne se présente pas à une rencontre, le médiateur remet à l’autre une attestation d’absence. Le but de l’intervention est d’amener les parents, par des actes de médiation, à sortir du lieu supervisé et d’exercer leurs droits de visite de façon régulière.

En Belgique

À Bruxelles aussi, l’espace-rencontre est un lieu de transition. « L’objectif est de gérer les conflits et de chercher à rétablir progressivement le lien parent-enfant […] », explique Hélène Van Den Steen, médiatrice au Centre européen de médiation à Bruxelles. En général, après trois ou quatre rendez-vous, l’espace-rencontre n’est plus nécessaire et les droits aux relations personnelles peuvent être normalisés.

L’accompagnement est assuré par des intervenants formés à la médiation. Leur rôle est d’écouter les doutes et les craintes de chacun tout en assurant la sécurité physique et psychologique. En général, les rencontres durent une heure et demie.


La Convention internationale de La Haye facilite les retours au pays. Enlèvement international d’enfants.

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, volume 34 – numéro 3 – 15 février 2002.

Au milieu des années 1970, l’ouverture des frontières a facilité les mariages entre personnes de nationalités différentes, ce qui a accru les déplacements internationaux et… les enlèvements d’enfants. C’est dans ce contexte que le Canada a conclu la Convention internationale de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. La convention met en place des mécanismes juridiques assurant le retour à leur lieu de résidence habituel des enfants enlevés âgés de moins de 16 ans. Le Québec a incorporé les engagements pris en vertu de cette convention dans la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants1.

Récemment, le Comité des affaires professionnelles du Jeune Barreau de Québec recevait pour sa conférence-midi une avocate oeuvrant en droit familial et international privé, Me Sandra Armanda, du cabinet Tremblay Bois Mignault Lemay, pour parler du fonctionnement de cette loi.

Me Armanda a précisé qu’au sens de la loi un enlèvement est le déplacement d’un enfant de son lieu de résidence habituel en violation d’un droit de garde. De plus, un enlèvement peut aussi être un non-retour. Quant au droit de garde, l’article 2 de la Loi précise qu’il « comprend le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ».

Dans un cas d’enlèvement, il est toujours important de vérifier si le pays où l’enfant a été amené est signataire de la Convention. S’il n’est pas signataire, « la seule façon à ce moment-là d’aller tenter de rechercher l’enfant est par les ambassades en écrivant des lettres, en demandant aux autorités consulaires et diplomatiques leur intervention… », de dire Me Armanda.

Cependant, si un enfant résidant habituellement au Québec est déplacé dans un État signataire, contactez le ministère de la Justice du Québec qui agit comme autorité centrale selon la Loi. Le ministère verra, avec l’autorité centrale de l’autre pays, à localiser l’enfant et à négocier une solution à l’amiable. Si nécessaire, l’autorité centrale voit aussi à ce que des procédures judiciaires soient introduites dans le pays refuge afin d’obtenir le retour forcé de l’enfant.

Requête en retour forcé

La requête demandant le retour de l’enfant à sa résidence habituelle peut contenir des conclusions en dommages et intérêts compensant notamment les dépenses engagées pour localiser l’enfant, les frais de voyage et les frais de représentation judiciaire. Au Québec, la requête est introduite devant la Cour supérieure du lieu où l’enfant se trouve ou de tout autre lieu approprié dans les circonstances. Elle a préséance sur les autres requêtes mises au rôle et les juges traitent ces dossiers en urgence. « En pratique, on a un jugement cinq jours après la présentation de la requête », dit Me Armanda.

La preuve

Pour apprécier la preuve de violation du droit de garde, le juge a besoin qu’on lui remette le jugement étranger et les articles de la loi étrangère applicable. Le ministère de la Justice peut vous procurer ces articles de loi. « Si on dépose un jugement étranger, on n’a pas à le faire reconnaître au Québec. Comme les requêtes sont jugées d’urgence, on reçoit souvent les documents par fax et ce sont ces documents-là qu’on dépose à la cour. Vous pourriez avoir à faire traduire les décisions étrangères et les articles de loi. À ce moment-là, on dépose à la fois l’original du document et la traduction », indique Me Armanda.

Opposition au retour

Le parent qui a déplacé l’enfant peut s’opposer à son retour si le parent qui en avait la garde n’exerçait pas effectivement cette garde. Il peut aussi s’y opposer si, postérieurement au déplacement ou au non-retour, l’autre parent y avait acquiescé.

Une opposition peut encore être présentée s’il y a, en vertu de l’article 21 de la Loi, un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique ou, de toute autre manière, ne le place dans une situation intolérable. « La jurisprudence indique qu’on ne doit pas faire de jugements de valeurs sur les autres pays. Il faut que ce soit vraiment un risque par rapport à ce que subit l’enfant à l’endroit où il se trouve », précise Me Armanda.

De plus, la Cour peut refuser le retour de l’enfant qui s’oppose lui-même à son retour, en tenant compte de son âge et de sa maturité, ou si le retour est contraire aux droits et libertés de la personne. Elle peut aussi refuser le retour de l’enfant si la requête a été introduite un an ou plus après le déplacement ou le non-retour et si elle juge que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Et finalement, il est important de savoir qu’en décidant du retour, le tribunal perd le droit de décider de la garde. Les parents devront alors s’adresser au tribunal du lieu de résidence habituel de l’enfant.

1 L.R.Q., c A-23.01


Protection de la jeunesse. L’art d’interroger un enfant

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, volume 34 – numéro 13 – 1er août 2002.

Lors d’une expérience, un scientifique pose la question suivante à un enfant de trois ans qui s’est blessé à la joue avec un arbuste: « Je vois que tu as une égratignure sur la joue. Est-ce que c’est un chat qui t’a fait ça? » L’enfant répond: « Non ». Peu après, un autre expérimentateur demande à cet enfant: « Qu’est-ce que tu as sur la joue? » Et l’enfant de répondre « J’ai été ‘graffigné’ par un chat ».

Cette expérience montre bien comment les réponses d’un enfant peuvent être influencées par des interrogatoires répétés de parents, policiers, travailleurs sociaux, avocats, médecins, psychologues, juges, etc. « Si on a des questions spécifiques, l’enfant peut incorporer dans sa mémoire et faire siens, comme faisant partie de sa réalité, les éléments introduits par les questions. Il faut être très attentif aux comportements et motivations des gens qui interrogent les enfants », dit Me Danielle Nadeau, avocate, psychologue et coordonnatrice en santé mentale au Centre hospitalier du Grand portage. Avec Louis Mignault, psychologue, elle a donné des conseils fort utiles aux juristes qui ont à interroger des enfants.

Développement de l’enfant

Ces deux experts ont au préalable expliqué les phases de développement que l’enfant traverse, afin notamment de permettre aux praticiens de comprendre son comportement lors d’un interrogatoire. C’est seulement vers un an ou un an et demi que l’enfant commence à développer la capacité de se représenter mentalement une chose du passé. Il commence aussi à cet âge à développer des habiletés de communication verbales. À partir de deux ans, l’enfant utilise le jeu pour développer son imagination. « Les enfants mélangent la fantaisie et le réel, comme par exemple, ‘la lune chante’. Ils compensent par la créativité les choses qu’ils ne comprennent pas », dit Me Nadeau. À compter de six ou sept ans, l’enfant acquiert la capacité de faire des raisonnements à propos de choses concrètes. « Ce n’est qu’avec le début de l’adolescence que la capacité d’opérer sur des propositions abstraites sera peu à peu maîtrisée », ajoute-t-elle.

Mais il ne faut pas confondre raisonnement et capacité de distinguer le mensonge d’une proposition valide. Des expériences démontrent que des enfants aussi jeunes que quatre ans ont cette dernière capacité.

Entrevue en six étapes

Ces connaissances sur la psychologie des enfants ont servi à concevoir des techniques d’entrevue spécialement pour les enfants. Et à ce sujet, Louis Mignault a généreusement partagé avec les praticiens présents une méthode d’entrevue en six étapes qui est non directive et non suggestive. L’interviewer est seul dans une pièce avec l’enfant pour éviter que le témoignage de ce dernier ne soit contaminé.

L’étape 1 c’est la mise en relation. « Les enfants sont facilement impressionnés par les titres d’autorités, comme avocat, psychologue, enquêteur, et ils vont avoir tendance à répondre à des questions même s’ils n’ont pas de réponse. Présentez-vous simplement, comme ceci ‘je suis une personne qui parle avec les enfants et aujourd’hui, je suis venu parler avec toi’. Adoptez une attitude amicale plutôt qu’autoritaire », dit Louis Mignault. Ensuite, commencez à poser des questions sur des événements neutres pour mettre l’enfant en confiance. Demandez-lui s’il aime l’école, comment il est venu, etc.

L’étape 2 c’est l’évaluation du concept de vérité de l’enfant alors que l’étape 3 c’est l’introduction du sujet de l’entrevue. À ces étapes, conseille M. Mignault, « Allez-y de la manière la moins directive possible. Et évitez de dire à l’enfant ‘On va faire semblant et tu vas me dire…’ ou encore ‘Imagine que…’, car cela va l’amener dans le monde de la fantaisie. »

L’étape 4 c’est le récit libre. L’enfant raconte ce qui s’est passé dans ses propres mots et à son rythme. « Laissez-le aller au bout de son récit sans l’interrompre en utilisant des facilitateurs verbaux comme ‘hum, hum’ ou ‘je comprends’ pour l’aider à poursuivre. » À l’étape 5 ce sont les Questions ouvertes. Plus l’enfant est jeune, et aussi plus l’événement est situé loin dans le temps, plus il a besoin du soutien d’un adulte pour remonter pas à pas le souvenir dans sa tête et le communiquer. « Soutenez-le par des indices ou par des questions ouvertes comme ‘qu’est-ce que tu voyais?’ préférablement à des questions suggestives. Si vous avez besoin de clarifications, vous pouvez évoluer vers des questions de plus en plus spécifiques », conseille le psychologue.

À la dernière étape, l’étape 6, il faut effectuer une clôture de l’entrevue, et poser des questions neutres comme au début de l’entrevue.

En cas d’hésitations

Si l’enfant hésite, « vous pouvez l’encourager à accepter son manque de mémoire en lui faisant pratiquer le ‘je ne sais pas’. Demandez-lui par exemple, ‘Le médecin qui t’a mis au monde avait-il des lunettes?’ ».

Les conférenciers conseillent d’encourager l’enfant à faire confiance à sa mémoire, tout en évitant toute forme de récompense, comme du chocolat, ou de coercition. « Ne le poussez pas à répondre. Il vaut mieux n’avoir aucune réponse plutôt qu’une réponse forcée ». Et surtout « soyez très compréhensif envers les enfants qui sont appelés à témoigner. Selon l’expérience clinique, ils sont en proie à une tristesse, une détresse et un déchirement intense. Soyez à l’écoute de cette souffrance et de la pression que subissent les enfants pour mieux comprendre ‘l’inconsistance’ de leurs déclarations », dit Me Nadeau.


Est-ce à l’État de décider du train de vie des enfants des riches divorcés? Lignes directrices et pension alimentaire

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, Volume 34 – numéro 16 – 1er octobre 2002

La Cour d’appel de l’Ontario a ordonné à un joueur de hockey gagnant 1,4 million de dollars par année de verser la pension alimentaire faramineuse de 110 580 $ par année pour son enfant de cinq ans.1 Comme dans la grande majorité des causes où le débiteur a des revenus très élevés, la Cour a appliqué strictement le barème de la pension alimentaire. C’est un des nombreux courants jurisprudentiels qui ont été discutés au colloque marquant le 5e anniversaire des lignes directrices de pensions alimentaires pour enfant, qui s’est tenu à Québec et Montréal.

Au sujet de ces débiteurs à hauts revenus, Me Francine Nantel, du cabinet Robinson Sheppard Shapiro, a remarqué que les juges ne tiennent généralement pas compte des besoins réels de l’enfant. De plus, dans certaines causes, comme cette affaire du joueur de hockey, on n’a même pas tenu compte du train de vie modeste du débiteur. « Est-ce que c’est l’État qui va choisir le train de vie des enfants? », s’est demandée Me Nantel.

Si elle représente une personne demandant une pension pour enfant à un débiteur à haut revenu, elle fait un budget non pas en fonction des besoins, mais des revenus et elle ajoute des frais particuliers. « Quand les revenus avoisinent les 100 000 $, les tribunaux ont tendance à être très ouverts à accorder des frais particuliers », dit-elle

Par contre, si elle représente le débiteur à haut revenu, elle plaide que le budget dépasse largement le niveau de vie antérieur des enfants.

La définition de revenu

Le montant des revenus est déterminant dans le montant de la pension pas seulement pour les débiteurs à haut revenu. Me Jocelyn Verdon, du cabinet Garneau, Verdon, Michaud, Samson, a examiné comment en général les tribunaux appliquent cette notion de revenu.

La Cour d’appel a indiqué qu’elle n’est pas restreinte à ce qu’on retrouve dans les déclarations de revenus et que les tribunaux doivent chercher à établir la « capacité financière réelle » des parents.2 Et pour établir cette capacité, la Cour peut utiliser sa discrétion.

La partie du formulaire de pension alimentaire qui est la plus litigieuse porte sur les revenus d’entreprise. Les tribunaux n’hésitent pas à comparer le rapport d’impôt avec les états financiers et à majorer le revenu des dépenses dont le conjoint a personnellement bénéficié.

Ils vont aussi utiliser leur discrétion pour comptabiliser dans les revenus des avantages comme l’utilisation personnelle d’un véhicule automobile fourni par l’employeur ou un avantage fiscal relié à l’emploi. « En somme, considère Me Verdon, les tribunaux exercent leur discrétion afin de s’assurer que tous les contribuables soient traités de la même façon. »

La notion de revenu a aussi été abordée dans l’allocution de Me Johanne Imbeau, de l’équipe famille, enfants, adolescents à Justice Canada, où elle a comparé les lignes directrices fédérales et provinciales. Elle a fait remarquer que pour l’application des tables fédérales on tient compte seulement des revenus du parent payeur. Au provincial, c’est le revenu des deux parents qui compte, plus les revenus de l’enfant mineur.

On tient compte aussi dans l’application des règles provinciales des revenus de l’enfant majeur, fait remarquer Me Suzanne Pilon, dans son allocution sur le statut particulier de l’enfant majeur. Une jurisprudence majoritaire considère d’ailleurs que le prêt et la bourse doivent être comptabilisés. Cependant, dans son esprit, « s’il est logique que la bourse soit prise en compte, il est moins sûr qu’il en est de même pour le prêt. En effet, ce dernier ne constitue pas une ressource pour l’enfant, mais une somme que ce dernier devra rembourser avec intérêt, à la fin de ses études ». Elle pense que le prêt étudiant doit plutôt être assimilé à une avance sur marge de crédit, que la Cour d’appel refuse de considérer comme des revenus.3

Les difficultés excessives

Outre les revenus, les difficultés excessives sont un autre facteur qui fait fluctuer les montants de la pension. Les tribunaux ont accepté de reconnaître des difficultés excessives pour des frais reliés à l’exercice du droit d’accès, des obligations alimentaires assumées à l’égard d’autres personnes que l’enfant et des dettes raisonnablement contractées pour les besoins familiaux. Me Diane Chartrand, du cabinet Martin Camirand Pelletier, conseille aux praticiens de ne pas hésiter à demander comme frais reliés à l’exercice du droit d’accès non seulement les frais de transports, mais aussi les frais d’hébergement et de subsistance et pourquoi pas les frais d’interurbain ou d’Internet.

Par ailleurs, la Cour d’appel a reconnu que le non-exercice du droit d’accès par le parent non gardien pouvait causer des difficultés excessives au parent gardien.4 Dans un tel cas, il n’est pas nécessaire, selon Me Chartrand, de mettre en preuve les dépenses occasionnées par le non-exercice du droit d’accès.

Si vous dérogez de la table de pension alimentaire pour des difficultés excessives, expliquez-le dans votre convention. Il en va de même si y vous dérogez pour un revenu particulier ou des frais particuliers. En effet, gardez à l’esprit que les ententes peuvent toujours être contrôlées par le juge pour s’assurer que le montant répond bien aux besoins de l’enfant.

Les dépenses pour les enfants

Les dépenses pour les besoins de base des enfants sont couvertes par les tables de pension alimentaire alors que les besoins excédentaires peuvent être couverts à titre de frais particuliers. Me Nicole Parent, du cabinet Parent Coutlee, a passé en revue les dépenses que les tribunaux ont accepté à titre de frais particuliers. Elle a relevé notamment le coût de l’assurance médicale et dentaire, les lunettes et lentilles cornéennes, les soins homéopathiques et d’ostéopathie, l’orthodontie, les frais dentaires, les orthèses plantaires, les soins chiropratiques, psychologiques, psychiatriques et les soins des allergies, la physiothérapie et les frais reliés à un handicap ou à une maladie. Les tribunaux ont aussi accordé à titre de frais particuliers l’achat d’un ordinateur et un abonnement à Internet ainsi que les frais reliés aux études post-secondaires. Et, de même, des frais reliés à l’école primaire ou secondaire privée pour les enfants présentant des difficultés d’apprentissage ou ayant un besoin d’encadrement spécial ou des activités parascolaires importantes pour l’enfant.

Aux praticiens qui veulent réclamer des frais particuliers, Me Parent donne plusieurs conseils: inspirez-vous des données de Statistique Canada pour montrer qu’un besoin particulier dépasse les montants dépensés ordinairement par une famille; dites à votre client de consulter l’autre parent avant de faire une dépense particulière; réclamez les frais particuliers en proportion des revenus des deux parents; et demandez une somme globale pour les dépenses particulières ponctuelles, comme l’achat d’un ordinateur.

Les incidences fiscales

Quant à Me Jean-Marie Fortin, avocat fiscaliste, il a expliqué comment répartir entre les parents les dépenses des enfants pour retirer le maximum d’avantages fiscaux. Ses conclusions sont basées sur la logique derrière les crédits et déductions que les parents peuvent réclamer dans leurs rapports d’impôt.

« Pour une garde exclusive, une fois la pension payée, c’est le parent gardien qui paie toutes les dépenses. (…) Pour la garde partagée, la logique est qu’une fois la pension payée, ce n’est pas fini. Chaque parent a dans ses poches l’argent nécessaire pour payer les besoins des enfants au prorata du temps de garde. Transports, loisirs, vêtements devraient être payés par chaque parent en fonction de la répartition du temps de garde », estime Me Fortin.

Il est donc important dans le cas d’une garde partagée que la convention ou le jugement prévoit un système de répartition des dépenses. Par exemple, chaque parent conserve les factures des dépenses effectuées pour les enfants et s’en fait rembourser une partie par l’autre parent en fonction du pourcentage de temps de garde. (L. B.)

1 [1999] 1 R.F.L. (5th) 119.

2 M.S. c. F.D., REJB 2001-26583.

3 Droit de la Famille – 2810, J.E. 2000-1374.

4 Droit de la famille – 3228, REJB 1999-12615.


Des solutions à des difficultés d’application (pensions alimentaires)

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, volume 31 – numéro 9 – 15 mai 1999.

Depuis le 1er décembre 1995, date d’entrée en vigueur de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, le ministère québécois du Revenu a émis en moyenne 1 000 opinions légales par année en regard de l’application de la Loi. Un grand nombre de ces opinions portent sur l’interprétation des conventions de pension alimentaire. Dans le cadre d’un cours du Service de la formation permanente du Barreau, Me Pierre E. Rodrigue, notaire à la Direction générale de la législation et des enquêtes au ministère du Revenu, a passé en revue les solutions apportées par le Ministère à plusieurs de ces difficultés d’interprétation.

Le rôle premier confié au ministère du Revenu par la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires est l’exécution des conventions et des jugements rendus en matière de pension alimentaire. « Cependant, il arrive qu’une convention n’établisse pas clairement les paramètres de la perception de la pension. Le Ministère consulte alors les avocats des parties. S’il est impossible d’en arriver à une position commune, il établit lui-même la portée de la convention en appliquant les règles générales d’interprétation des contrats », de dire Me Rodrigue.

La définition de pension alimentaire

L’article 2 de la Loi prévoit que le débiteur doit verser la pension alimentaire et les arrérages au ministre du Revenu au bénéfice du créancier. Dès les débuts de l’administration du régime, le Ministère a été confronté à la définition de « pension alimentaire ». Avec l’intention d’éviter à leurs clients d’être assujettis à la Loi, certains avocats omettaient cette expression dans leur convention. « Le Ministère a adopté la position que la présence ou l’absence de l’expression pension alimentaire n’a aucune influence à elle seule quant à l’assujettissement », souligne Me Rodrique.

Pour déterminer si les sommes payables en vertu du jugement constituent une pension alimentaire, le Ministère vérifie si elles visent à combler des besoins alimentaires et s’il s’agit d’une somme payable périodiquement. Il peut difficilement percevoir les dettes alimentaires dont la fréquence de paiement est supérieure à un mois, sauf à compter du moment où le débiteur est en défaut. Par ailleurs, Me Rodrigue rappelle que la Loi ne permet pas au Ministère de percevoir les sommes globales, même si celles-ci sont payables en plusieurs versements, ni les provisions pour frais payables sous la forme d’une somme forfaitaire.

De plus, pour être perçue par le Ministère, la pension alimentaire doit être chiffrée, déterminée ou déterminable. « Par exemple, une convention prévoyait que le débiteur devait verser au créancier, à titre de pension alimentaire, à chaque automne, une somme suffisante pour rembourser à ce dernier l’achat de vêtements convenables pour les enfants. On comprendra qu’il n’appartient pas au ministre du Revenu de déterminer ce qui peut constituer des vêtements convenables », de dire Me Rodrigue.

Le début du versement de la pension

Il y a eu de nombreux litiges portant sur la date du début du versement de la pension alimentaire. Le meilleur moyen d’éviter ces litiges est d’indiquer clairement cette date dans la convention. Si la convention est muette à ce sujet, à défaut d’entente entre les parties, le Ministère applique les principes suivants. « Lorsqu’un jugement sur mesures provisoires fixe la pension, les effets de celui-ci remontent à la date de la signification de la requête, ce qui signifie que la pension est exigible à compter de cette date. Les effets du jugement modifiant les mesures accessoires ou modifiant les mesures provisoires remontent également à la date de la signification de la requête », mentionne Me Rodrigue. Par contre, la pension alimentaire accessoire à un jugement de divorce ou de séparation de corps devient exigible seulement à compter de la date du jugement.

La suspension de la pension

Les juristes du Ministère sont souvent consultés au sujet d’une clause semblable: « Considérant que le requérant bénéficie des prestations de l’assurance-emploi au montant de 186 $ net par semaine, la pension alimentaire de 110 $ par mois est suspendue rétroactivement à compter du 7 mai 1989. Le requérant s’engage à aviser l’intimée dès qu’il débutera son emploi. » Dans ce cas particulier, le débiteur prétendait que la pension était suspendue jusqu’à ce qu’un nouveau jugement soit rendu. « Le Ministère a plutôt présumé que l’intention des parties était de mettre fin à la suspension dès que le débiteur se trouvait un emploi », de faire remarquer Me Rodrigue.

Renonciation aux arrérages

La Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires est d’ordre public. Les parties ne peuvent y déroger par des conventions particulières. « Dans cette optique, dit Me Rodrigue, le ministère du Revenu du Québec a pris comme position de ne pas accepter une renonciation aux arrérages de pension signée par le créancier, peu importe les motifs qui sont invoqués. Si le créancier désire vraiment renoncer à ses arrérages de pension, le Ministère recommande alors aux parties de le faire dans le cadre d’une convention homologuée par le tribunal. »

Aussi, afin de faciliter le travail des praticiens en droit matrimonial, le ministère du Revenu projette de publier un document répertoriant les différentes opinions qu’il a émises depuis 1995 quant à l’application de la Loi.


Ex-épouse compensée pour avoir sacrifié sa carrière au profit de son conjoint

La Cour d’appel lui accorde une pension alimentaire et une somme globale, mais lui refuse une prestation compensatoire

Louis Baribeau

Ayant organisé sa vie, pendant le mariage, en fonction de la carrière de son mari, il est devenu très difficile pour l’ex-épouse de se réinsérer à temps plein sur le marché du travail. Les juges Marcel Nichols, Claude Vallerand et Louis Lebel en sont arrivés à la conclusion qu’elle méritait d’être indemnisée pour le préjudice que lui occasionne cette situation. Ils lui accordent une somme globale de 40 000$ et une pension alimentaire de 3 333$ par mois, tant pour elle-même que pour ses deux fils, mais rejettent sa demande de prestation compensatoire. Dans cette décision, rendue le 30 avril dernier, la Cour d’appel examine les différentes formes d’indemnisation qui peuvent être versées aux conjoints subissant une perte économique semblable.

Le couple s’était marié en 1973 sous le régime de la séparation de biens. A l’époque, ils occupaient tous les deux un emploi rémunérateur. Elle, travaillait à temps plein dans un hôpital comme technicienne de laboratoire; lui, avait été engagé dans les Forces armées canadiennes. Durant le mariage, la carrière de l’époux l’a amené aux quatre coins du Canada, notamment à Victoria, Halifax, Ottawa et Montréal. Il a aussi fait des séjours au Massachusetts et en Angleterre. Au fil des années, sa compétence étant de plus en plus reconnue et il obtenait promotions sur promotions. Depuis 1987, il occupe un poste de vice-président dans une importante entreprise de la région de Québec. Son salaire s’élève à 115 000$ par année.

Pour suivre son conjoint, l’ex-épouse a été obligée de quitter cinq emplois différents, perdant à chaque fois toute son ancienneté et les avantages qui y étaient rattachés. Malgré tous les efforts déployés pour faire redémarrer sa carrière, elle n’a pas pu trouver mieux qu’un travail occasionnel à temps partiel au salaire de 24 000$ par an, emploi qu’elle occupe toujours au moment du divorce.

Lors de la rupture, les conjoints étaient copropriétaires d’une résidence évaluée à 225 000$ et l’époux possédait des droits de près de 200 000$ dans divers régimes de retraite. Il fût convenu que les enfants vivraient avec leur mère. Les négociations ont cependant achoppées sur les autres revendications de l’ex-épouse, soit le droit d’habiter la résidence familiale jusqu’en l’an 2 000, la prestation compensatoire et la somme globale, totalisant 75 000$, ainsi que la pension alimentaire de 3 500$ par mois. Selon elle, ces demandes sont justifiées étant donné la précarité de sa situation financière et son importante contribution à la carrière de son mari, au détriment de la sienne. Elles sont nécessaires pour préserver le niveau de vie et le cadre de vie que ses enfants avaient durant le mariage. Elle demande aussi au juge d’inclure dans le patrimoine familial le véhicule de marque Corvette, modèle 1965, acheté par son mari.

Le juge de première instance a permis à l’ex-épouse de demeurer dans la maison jusqu’au 1er juillet 92 seulement et a fixé la pension alimentaire à 2 500$ par mois. Il a refusé de lui octroyer une prestation compensatoire et une somme globale. Dans son jugement, il exclut du patrimoine familial la voiture sport, parce que, selon la preuve qui lui a été soumise, ce véhicule n’a jamais été destiné à l’usage du ménage.

La Cour d’appel confirme la décision du premier juge au sujet de la voiture sport. Elle permet à l’ex-épouse d’habiter la résidence jusqu’à ce que celle-ci soit vendue. Cependant, l’élément principal du patrimoine des partie étant cette résidence, sa vente est le seul moyen de dégager les ressources nécessaires pour aider l’ex-épouse. La Cour d’appel considère que lui permettre de rester plusieurs années dans la résidence compliquerait singulièrement le règlement des aspects financiers du divorce.

M. le juge Louis Lebel, qui a rédigé les motifs de la décision unanime de la Cour d’appel, considère que <<l’appelante a clairement établi le dommage à sa carrière et à ses perspectives économiques. Laissée à elle-même, l’appelante se retrouve nécessairement à un niveau et à des conditions de vie nettement inférieurs à ceux auxquels elle aurait pu s’attendre si sa carrière avait évoluée normalement>>.

La cour a tenu à faire certaines remarques sur la forme que devrait prendre l’indemnisation à laquelle l’ex-épouse a droit. Avant d’envisager la possibilité d’accorder une prestation compensatoire, il importe, selon M. le juge Lebel, de tenir compte de <<l’impact de la législation sur le patrimoine familial>>. Dans ce cas-ci, le patrimoine familial comprend la résidence comunne et les fonds de pension de l’ex-époux. Le résultat de la séparation de ces biens est, <<à première vue, équitable. Il permet à l’appelante de bénéficier de l’enrichissement des deux parties pendant le mariage, en lui accordant une part égale en valeur, des principaux biens acquis par le couple dans le mariage.>>

De plus, précise M. le juge Lebel, la prestation compensatoire prévue au Code civil n’est pas <<l’instrument le mieux adapté pour régler ce problème>>. La cause du problème de carrière de l’ex-épouse est la rupture de son mariage. Pendant la vie commune, elle était compensée pour sa précarité d’emploi par tous les avantages que procurait à la famille le succès professionnel de l’époux. C’est la rupture qui a entraîné un déséquilibre sur le plan économique. La Loi sur le divorce contient un moyen plus appropriée que la prestation compensatoire pour régler ce genre de problème. Il s’agit de l’article 15(7). Cette disposition, d’une extrême souplesse, insiste sur la nécessité de <<prendre en compte les avantages ou inconvénients économiques qui découlent pour les époux du mariage ou de son échec>> lors de l’octroi d’aliments, que ce soit sous forme de capital ou de pension. Comme le soulignait la Cour suprême dans l’affaire Moge c. Moge, les disposition sur la Loi sur le divorce relatives à l’obligation alimentaire <<ont une portée extremment générales>> et permettent de <<remédier à toute difficulté économique qui résulte du mariage>>. La pension alimentaire, écrit M. le juge Lebel, <<joue un rôle particulièrement important à l’égard d’une femme qui essaie de rétablir un plan de carrière qu’elle a dû laisser de côté en raison de son rôle dans le ménage. Il est aussi essentiel à l’égard des enfants>>. Si, dans le cas des familles à l’aise, les tribunaux font une évaluation trop restrictive des besoins financiers des enfants, ils risquent de créer deux cadres de vie complètement différents. Les enfants ne devrait pas être soumis à un régime d’austérité financière pendant que le parent non gardien bénéficie d’un niveau de vie très élevé. Une telle situation ne pourrait qu’aggraver les difficultés d’adaptation qu’éprouvent les enfants à la suite de la séparation de leur parent. Le premier juge a nettement sous-estimé les besoins de l’ex-épouse et de ses deux fils, constate la Cour d’appel.

En plus de la pension alimentaire, la cour juge nécessaire d’octroyer une somme globale parce que la division du produit de la vente de la maison entre les parties ne suffirait pas à permettre à l’ex-épouse de se réinstaller dans une nouvelle résidence unifamiliale.

En ce qui concerne le véhicule de marque Corvette, explique Me Pinard, procureure de l’ex-épouse, le jugement vient confirmer très clairement l’exclusion du patrimoine familial d’un véhicule de collection ou d’un véhicule qui sert aux déplacements d’un seul membre de la famille.

Selon l’avocate, ce jugement ne signifie pas qu’il faut exclure les dispositions relatives à la prestation compensatoire chaque fois que celles sur la partage du patrimoine familial s’appliquent. La Cour d’appel a seulement précisé qu’il faut tenir compte de l’ensemble de la situation financière du couple avant d’accorder une prestation compensatoire. Si le débat s’était déroulé à l’occasion d’une instance en séparation de corps, alors que l’article 15 de la Loi sur le divorce ne trouve pas application, la Cour d’appel aurait peut-être pu octroyer une prestation compensatoire, explique-t-elle.

Quand à Me Lina Bond, qui représentait l’ex-époux, elle a déclaré que même si son client était insatisfait du jugement de la cour, il ne porterait pas sa cause en appel étant donné les coûts qu’il lui faudrait assumer.

(Décision en droit de la familial- , – 31 pages – texte intégral sur demande – N°: LPJ-93-xxxx –téléphone: 514-842-3937 – télécopieur: 514-842-7144)


Perception des pensions alimentaires, problèmes fréquemment rencontrés

Louis Baribeau, avocat

Publié dans le Journal Barreau, volume 34 – numéro 20 – 1er décembre 2002.

Depuis 1995, les juristes du ministère du Revenu chargés de l’application de la Loi facilitant la perception des pensions alimentaires reçoivent un flot ininterrompu de questions: qu’est-ce qu’une pension alimentaire assujettie à la loi? Quand la perception commence-t-elle et quand finit-elle? Quelles informations au dossier demeurent confidentielles? En guise de réponse, le ministère a établi diverses politiques que les praticiens en droit de la famille ont intérêt à connaître pour éviter les retards dans le traitement des dossiers, des coûts supplémentaires ou pire… la perte de droits.

Me Katie Levasseur, de la direction des affaires juridiques, et Me Danielle Pelletier, du contentieux, ont expliqué ces politiques qu’elles connaissent sur le bout de leurs doigts à un groupe de praticiens de Québec, lors d’une formation sur la perception des pensions alimentaires organisée par le Service de la formation permanente du Barreau au début de novembre.

Un des problèmes fréquemment rencontrés est l’application stricte par le ministère de la notion de défaut de paiement, relève Me Katie Levasseur. « Par exemple, la remise d’un chèque non certifié au créancier ne constitue pas un paiement tant qu’il n’est pas encaissé, explique-t-elle. Par ailleurs, la non-indexation de la pension au 1er janvier de chaque année, ou à la date prévue au jugement ou à la convention, constitue également un défaut de paiement. »

Paiements assujettis à la perception

Pour déterminer si un montant accordé par jugement ou entente constitue bel et bien une pension alimentaire assujettie à la loi, demandez-vous si la somme est destinée à couvrir les besoins alimentaires. En d’autres termes, la somme couvre-t-elle les besoins relatifs à la nourriture, au logement, au chauffage, aux vêtements, à l’éducation et à tout autre besoin essentiel de la vie? Ainsi, les provisions pour frais ou les sommes globales ne sont pas assujetties à la loi.

Les politiques du ministère excluent aussi le paiement effectué à des tiers au bénéfice du créancier alimentaire, par exemple un paiement hypothécaire, sauf si le jugement ou la convention précise que ce paiement est payable à titre de pension alimentaire.

Par ailleurs, le ministère ne perçoit les pensions alimentaires payables à des intervalles supérieurs à un mois, ou à des intervalles irréguliers, que lorque le débiteur est en défaut. Le ministère les considère et les traite alors comme des arrérages. Il arrive que le ministère ne soit pas en mesure de percevoir une pension, parce que son montant est indéterminable, précise Me Levasseur. « Afin d’éviter tout problème aux parties, ayez soin d’indiquer avec précision le montant de la pension », conseille-t-elle.

Date de départ et de terminaison

Les parties doivent également préciser clairement la date du début du paiement de la pension. À défaut, lorsque la date d’exigibilité est manquante, soit dans le jugement sur mesures provisoire, soit dans le jugement modifiant les mesures provisoires ou accessoires, le ministère fait remonter cette date à celle de la signification de la requête. Pour les ordonnances de sauvegarde, les divorces et les séparations de corps, le percepteur retient la date du jugement, alors que dans les demandes conjointes, il retient plutôt celle de la signature de la convention.

La perception de la pension alimentaire prend fin soit à la date prévue au jugement ou à la convention, soit à l’arrivée de l’événement qui y est indiqué. Lorsque la date de terminaison n’est pas précisée, le ministère retient celle de la signification de la requête à l’origine de cette dernière décision. La perception de la pension pourra aussi se terminer dès la reprise de la vie commune des conjoints de fait ou séparés de corps. Par contre, la reprise de la vie commune entre conjoints divorcés n’a pour effet que de suspendre la perception de la pension alimentaire, laquelle redevient exigible dès une nouvelle séparation.

Confidentialité

Il arrive souvent qu’une partie tente d’obtenir des informations confidentielles sur l’autre partie de l’agent de suivi. Le ministère s’en remet alors aux dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. En pratique, le ministère permet notamment d’informer les parties des diverses mesures administratives entreprises pour recouvrer la pension alimentaire, remarque Me Pelletier. « L’agent peut dire au créancier qu’une saisie a été pratiquée, mais ne peut pas préciser dans quel compte bancaire, ni le solde de ce compte ».

De plus, vous pouvez obtenir du ministère du Revenu l’état de compte relatif au paiement et au transfert des sommes alimentaires pour la période de votre choix, mais où les informations confidentielles sont biffées. Ayez les états de compte des deux parties à jour lors de la présentation de toute requête en modification de l’obligation alimentaire afin de pouvoir déterminer précisément les versements effectués ou à venir, les avances aux créanciers et les arrérages de pension.

Avis aux intéressés: ce cours de 3 heures sera aussi présenté à Cowansville le 23 janvier 2003.

À quelle porte frapper?

La Direction principale de la perception des pensions alimentaires

Adressez-vous à cette direction pour avoir de l’information générale sur le régime et discuter avec l’agent responsable du dossier de votre client. Vous pouvez aussi demander à parler à une des personnes ressources en droit.

Appels locaux, Québec: (418) 652-4413 * Ligne sans frais: 1-800-488-2323

Le Centre de perception fiscale

Communiquez avec ce centre lorsque le débiteur est en défaut de paiement depuis plus de 10 jours.

Bureau de Québec:
Téléphone: (418) 577-0182
Ligne sans frais: 1-888-543-7539, poste 10182
Télécopieur: (418) 643-3170

Bureau de Montréal:
Téléphone: (514) 287-8176
Ligne sans frais: 1-888-830-8808, poste 8176
Télécopieur: (514) 285-3824

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La Direction des affaires juridiques

Demandez à ce que le dossier soit référé à cette direction lorsque l’application de la Loi ou d’une politique présente une difficulté particulière afin d’en discuter avec un juriste du ministère.

Téléphone: (418) 652-6490 * Ligne sans frais: 1-888-830-7747, poste 6490
Télécopieur: (418) 652-8085

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La Direction des oppositions

Transmettez à cette direction les avis de contestation de toute décision prise par le ministère du Revenu en application de la Loi.

Téléphone: (418) 652-6292 * Ligne sans frais: 1-888-830-7747, poste 6292
Télécopieur: (418) 652-7080

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Le contentieux

Communiquez avec les avocats du contentieux pour les brefs de saisie, les hypothèques légales ou les procédures judiciaires.
Bureau de Québec:
Téléphone: (418) 652-6842
Ligne sans frais: 1-888-830-7747, poste 6842
Télécopieur: (418) 528-0978

Bureau de Montréal:
Téléphone: (514) 287-8333
Ligne sans frais: 1-888-830-8808, poste 8333
Télécopieur: (514) 873-8992